Sommet américain pour la démocratie. «Les États-Unis gagneraient à balayer d’abord devant sa porte» ?

Libreville Le 09/12/2021 (ST)–Le président Américain Joe Biden organise deux jours durant, aujourd’hui et demain, un sommet de la démocratie auquel il a convié virtuellement une centaine de pays, mais en y excluant la Russie et surtout la Chine. Ce qui a emmené plusieurs observateurs à y voir un sommet contre la Chine.

Innocent M’Badouma, spécialiste de la Chine et président du réseau des journalistes francophones pour la coopération Chine-Afrique, n’en pense pas moins. Il a confié à Sud Télégramme sa lecture de la situation.

M. Innocent M’Badouma, vous êtes chef de service au quotidien L’Union, et spécialiste de la Chine. Pensez-vous que cette rencontre dont les critères de sélection sont somme toute discutables est un sommet contre la Chine ?

Vous savez qu’en ce moment même plusieurs pays, y compris africains, sont réunis autour de la Chine pour débattre des questions de démocratie et des droits de l’homme. Et donc oui, c’est clairement un sommet organisé, non seulement pour contrecarrer ces assises que la Chine Organise, mais aussi et surtout, il vise à noircir la Chine.

En effet, on peut observer que les États-Unis ont adopté une ligne offensive qui est celle d’attaquer et tenter de discréditer le pouvoir chinois sur les questions des droits humains. Notamment au Ouïgours où une certaine presse relaie, sans en apporter la moindre preuve, des cas d’exactions et même de massacre sur les minorités musulmanes. La stratégie est claire, et les intentions le sont encore plus.

Donc ce sommet virtuel, je pense, viens pour détourner l’attention des pourparlers qui se tiennent actuellement à Beijing. C’est clairement une volonté de rendre désuet le sommet chinois, le timing même n’a pas été choisi par hasard.

D’un point de vue politique, mais aussi économique, quelles peuvent être conséquences d’une telle mesure ? Pensez-vous que cela aura des répercussions sur l’attractivité du secteur des affaires de la Chine ?

A ce niveau, il faut dire qu’il y a une politisation de la notion des droits de l’homme. Pourtant quand on parle de droits la définition devrait être juridique et non politique. Et donc ce n’est pas à un président de redéfinir la notion de droit. L’on doit se demander ce qu’implique cette notion de « droits de l’homme », quels sont les droits fondamentaux de l’homme, à quoi est-ce que cela nous renvoi ?

On pourra de manière sommaire y répondre que les droits fondamentaux de l’homme sont de manger, se loger, se soigner etc… Est-ce que l’on peut affirmer aujourd’hui que ces basiques sont garantis à tout citoyen en Amérique ou dans les démocraties occidentales ? Voilà le débat que la Chine veut ouvrir. A savoir que le gouvernement américain gagnerait plutôt à d’abord balayer devant sa porte avant de jouer les gendarmes du monde.

Donc je pense que les États-Unis, sachant qu’ils ont perdu le débat au niveau de l’exemplarité démocratique, veulent tout simplement tout politiser, même les questions juridiques. Et d’ailleurs on le voit bien, ils essaient depuis un moment de se servir de Taïwan aux fins de déstabiliser la Chine continentale. Mais comme ça marche pas non plus, alors on tente d’isoler la Chine à travers la question démocratique et des droits de l’homme.

Bref… je ne pense pas que l’exclusion de la Chine à un sommet américain controversé comme celui-là aura des répercussions sur le secteur des affaires chinois.

La Chine a promis des représailles après la décision américaine de boycotter les jeux olympiques de Beijing. Selon vous à quelles formes de représailles doit-on s’attendre ?

Une chose est sûre c’est que la Chine va réagir même s’il est difficile pour l’heure de prévoir la nature des représailles. Tout de même, on sait que bon nombre d’équipementiers américains se ravitaillent en Chines. Beaucoup de produits concernant l’industrie sportive américaine aujourd’hui se fournissent en Chine.

Donc je pense que les représailles peuvent prendre cette forme là, mais peut-être aussi sur un plan économique. On l’a vu avec l’épisode des sanctions contre Huawei, le gouvernement américain croyait bloquer la Chine, mais ce fut plutôt l’industrie américaine de téléphonie qui en a payé le prix fort avec comme conséquences l’accroissement du chômage dans ces secteurs là.

Tout ça pour dire qu’il y aura des représailles multiformes, je n’ai aucun doute là dessus. La Chine choisira de frapper quand et où ça fait mal.

Dernière question. Pensez-vous que le monde vient à nouveau d’être bipolarisé ?

Je ne pense pas. Certes on voit les États Unis et ses alliés traditionnels d’un côté, même si certains on commencé à se désolidariser, et la Chine, la Russie et les pays Africains de l’autre. Mais on ne peut parler de bipolarité pour autant.

Car si les américains prônent plutôt le bilatéralisme c’est à dire des relations au cas pas cas, la Chine elle préfère le multilatéralisme dont elle en a fait son cheval de bataille.

Du point de vue de la Chine, le monde n’est pas divisé en deux. Et ce d’autant puisqu’elle entretien et continue d’entretenir des rapports avec quasiment tous les pays, y compris ceux qu’on classerait dans le camp américain.

M. Innocent M’Badouma merci.